Ce fut le dernier cadeau d’anniversaire offert à son grand-père.

 

L’emballage était soigné. Pourtant, en frisant le ruban multicolore avec la lame d’une paire de ciseaux rouillée, le vendeur s’était coupé l’index. Sur le papier noir, mat, orné de lettres calligraphiées et d’entrelacs dorés, il avait collé une étiquette “Plaisir d’offrir” pour maintenir tous les frisottis. De sa voix juvénile, elle lui avait pourtant bien précisé l’occasion pour laquelle elle s’apprêtait à casser sa tirelire. Il ne l’avait pas écoutée : elle avait 12 ans et de grands yeux ronds comme ceux des personnages de manga du programme télé du mercredi après-midi. La cloche de l’église a sonné les douze coups de midi.

fabrication de couteaux opinel

Depuis un moment déjà, le bruit creux de l’estomac du vendeur recouvrait celui du cliquetis de l’horloge-coucou accroché derrière le comptoir. Il s’est dépêché de prendre l’argent de la gamine, de lui remettre son paquet, de fermer derrière elle la porte vitrée et de retourner le petit écriteau suspendu à une chaînette. « FERMÉE ». Elle ne souvient pas l’avoir entendue lui dire Merci ; ni même Au-revoir. Sa mère l’attendait dans la voiture. Elle avait jugé utile de la laisser « faire ses petites emplettes », comme elle disait, pour la responsabiliser et lui enseigner la valeur des choses.

affiche vintage pour les couteaux opinel

L’achat de la fillette n’était pas un choix par défaut. Elle savait ce qu’elle voulait et où le chercher : à la quincaillerie du bourg, entre les hameçons et les lampes à pétrole. Son grand-père n’avait pas eu besoin de préciser ses envies. Elle savait qu’en lui offrant un nouvel Opinel, elle ferait de lui un homme heureux. Combien de fois l’avait-elle observé fouiller, en vain, dans les poches de son pantalon, pour finalement pester : « Mais nom d’un chien ! Qui s’amuse à cacher mon Opinel ? » Presque toujours, il le retrouvait là où il l’avait posé : sur la toile cirée de la table à manger ; dans le potager, à côté des cordeaux de laitues ; dans la cheminée, sous les andouilles ; et même dans la salle de bain, sur le petit meuble de douche ; plus rarement, parce qu’il avait ordre de vider ses poches avant de mettre son linge au sale, dans le tambour de la machine à laver.

couteau de cuisine opinel

Cette fois, il ne l’avait pas retrouvé. Il en était sûr et l’avait confié à sa petite-fille dubitative : « La pie, cette chipie, a volé mon couteau ! » C’est sûr, son grand-père sera heureux avec un nouvel Opinel. Mais en entrant à l’arrière de la voiture, la fillette s’était demandée si, finalement, il n’avait pas été plus judicieux de lui acheter une tête…

 

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