Les années 80, ce n’est pas juste la coiffure extraordinairement improbable de Desireless, ni même l’étonnant succès du Top 50, et encore moins celui du club Dorothée.
C’est aussi une période étonnement créative, complexe et paradoxale, qu’on a longtemps jugée désuète, pour ne pas dire « de mauvais goût ».
Le Musée des Arts Décoratifs rend hommage à cette effervescence de couleurs et de formes imaginées par les graphistes, les designers, les grands couturiers de l’époque avec son expo « Années 80 : mode, design et graphisme en France ». On y est allés, évidemment ! L’exposition est dense, on a quand même essayé d’en ressortir quelques éléments marquants.
En 1981, François Mitterrand, récemment élu à la présidence de la République, fait doubler le budget du ministère de la Culture. Il entame sa politique de grand travaux qui vise à revaloriser le patrimoine, promeut l’aide à la création et encourage le design contemporain. En 1982, c’est la première édition de la fête de la Musique ; en 1983, Mitterrand commande à cinq créateurs la décoration de ses appartements privés de l’Elysée : Annie Tribel, Marc Held, Ronald Cecil Sportes, Philippe Starck et Jean-Michel Wilmotte.
Les films publicitaires
Dans la publicité, de nouvelles pratiques font leur apparition, avec notamment des mélanges de disciplines où la mode, la chorégraphie, le cinéma participent à un renouveau du genre ; la pub devient de l’art avec la création de films publicitaires audacieux. C’est le début d’une explosion de créativité avec, – souvenez-vous – la pub Kodak, Les voleurs de couleurs (Jean-Paul Goude), brillante, esthétique et drôle à la fois, ou bien la série « Eram » dont on n’est pas prêts d’oublier le slogan « Il faudrait être fous pour dépenser plus ! » (Etienne Chatiliez, oui, oui, il est plutôt cinéaste, on le connait davantage pour ses films La Vie est un long fleuve tranquille ou Tanguy, la preuve que l’époque aime les transversalités entre les disciplines.)
Ces films publicitaires sont porteurs d’une légèreté voire d’une certaine forme d’insouciance, avec un humour détonnant qui traite les genres avec dérision, qui met l’accent sur le glamour, voire l’érotisme.
Jean-Paul Goude sera aussi le créateur du fameux défilé du bicentenaire de la Révolution Française en 1989, sorte d’ode à la liberté : un vrai succès, plus de 800 000 spectateurs sur les Champs Elysées, plus de 6 000 artistes et figurants, du jamais vu à l’époque ! Les grandes silhouettes de danseuses à la silhouette démesurée auront marqué les esprits et ce type de spectacles grandioses « à la française » allait poursuivre son influence jusque dans les années 90 ; comment ne pas évoquer alors le souvenir de la cérémonie d’ouverture des JO d’hiver d’Alberville, emmenée par Philippe Découflé ?
Jean-Paul Goude – Dessins des valseuses du défilé du 14 juillet 1989
Le design d’objet des années 80
On retrouve cette extravagance de formes osées, de couleurs chatoyantes qui ont longtemps donné à cette époque une image criarde. Cette espèce d’insouciante attitude, on la perçoit aussi dans le mobilier, avec un sentiment de « grand n’importe quoi », dans une création qui s’affranchit des normes, parfois même des usages. On ose dans les années 80, casser une ligne pour la faire ondulée, faire usage de la volute pour souligner la forme d’un accoudoir, ou au contraire la rendre exagérément brute, jouer avec les couleurs primaires et les motifs (zèbres, vache, marbrures etc.).
On trouve les meubles les plus fous dans les années 80, les objets les plus inhabituels, au point que la décennie est encore loin de faire l’unanimité chez les amateurs d’art et de beaux objets. Cette apparente absurdité visuelle et fonctionnelle, on la retrouve dans les étagères colorées d’Ettore Sottsass, les chaises ultra rigides de François Bauchet ou la Piranha de Pierre Sala. C’est ça, la liberté des années 80.
François Bauchet – « C’est aussi une chaise » – 1982
Pierre Sala – Chaise Piranha – 1983
Nathalie du Pasquier – Chaise Pilar – 1986
Javier Mariscal – Tabouret Duplex – 1980
Le design graphique
La décennie 80 rompt avec l’utopie des années 70, tout en assumant son inspiration révolutionnaire, héritée de mai 68. Plus que jamais, l’affiche est politique, engagée. Avec des graphistes comme Alain Le Quernec ou Claude Baillargeon, on ne fait pas dans la niaiserie, et encore moins dans la dentelle : les slogans sont piquants, les images fortes. On se concentre sur l’essentiel, sans ajouts de décorum ou fioritures inutiles. Un texte court, une image suffisent à faire passer des messages. On joue sur les aplats de couleurs, plus directs, sur une base de couleurs primaires. On compose en noir et blanc, on emploie des typographies épaisses dont on fait l’usage en grand format.
Alain Le Quernec – Lutte sociale en pays bigouden – 1982
Alain Le Quernec – Visitez Plogoff – 1980
Agence CLM/BBDO, photographie François Jonvelle – Affiches « Avenir, l’afficheur qui tient ses promesses » – 1981
Pour des causes plus légères, on n’hésite pas à érotiser l’affiche, avec des campagnes toujours plus osées : l’affichiste urbain Avenir fait encore parler de lui aujourd’hui avec cette série on ne peut plus croustillante.
La politique de grands travaux menée par le gouvernement Mitterrand mène à l’ouverture des musées prestigieux, la Villette, le Louvre, l’institut du Monde Arabe ou encore d’Orsay, autant de terrains de jeux pour les concepteurs d’un florilège d’identités visuelles qui sont encore bien présentes dans les esprits. La naissance de nouveaux événements culturels, fête de la musique, mois des musées et des arts plastiques, fête du cinéma etc. revisitera l’art de l’affiche.
Philippe Apeloig – Carte blanche du musée d’Orsay – 1986
Pierre Bernard – Identité visuelle du parc de la Villette – 1984
Atelier de création graphique et Grapus, logotype du musée du Louvre – 1989
Michel Bouvet – Faites de la musique – 1987
La mode
La mode est au vêtement ample et décontracté, aux couleurs pétantes et fluos. La silhouette n’est pas toujours valorisée, avec en particulier l’ajout d’épaulettes ultra larges ; on joue sur l’asymétrie, les contrastes de matières et de formes, l’accumulation, les matières brillantes (le simili cuir, qu’on appelait à l’époque « le skaï », vous vous souvenez ?), la toile d’acétate (Papy Moreni, ensemble tunique et jupe – 1983).
Les robes de soirées dans les milieux chics soulignent la taille par un gros ceinturon coloré, laissent vaguement entrapercevoir un décolleté, les manches sont ultra bouffante ou ballon (Christian Lacroix), là où dans des sphères plus contemporaines, plus « choc », le sein est exagérément caricaturé par une accumulation de spirales.
Claude Montana – Robe en cuir à boutonnage pressionné, coll. Prêt à porter printemps-été 1979
Papi Moreni – Ensemble tunique et jupe – 1983
Jean-Paul Gauthier et la fameuse robe « seins obus » – 1985
Christian Lacroix
Jean-Charles de Castelbajac – Double poncho – 1986
Les années 90 ont bien vite balayé les couleurs et l’insouciance, pour laisser place à une apparente rigueur : l’heure du bilan avait sonné. En France, les années 80 allaient bientôt être exclusivement associées au sida, à la percée parlementaire du Front National. Est-ce pour ces raisons qu’elles ont été oubliées ?
Cette brillante exposition vient rappeler tout leur intérêt en particulier dans le domaine du design qui méritait de retrouver ses lettres de noblesse.
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