Vous vous souvenez ?
Nous étions il y a quelques temps en balade à la Paris Design week : on y va chaque année, parce que c’est essentiel pour nous de nous ressourcer, de trouver des inspirations nouvelles. Nous en avons profité pour faire le plein d’expos et découvrir la Bourse de Commerce : nous trépignions d’impatience !
Pour évoquer cette architecture d’exception, imaginée jusque dans les moindres détails, nous avons rencontré Jean-Jacques Aillagon, directeur général de Pinault Collection. Il nous a reçu chez lui pour un échange passionnant autour de l’architecture, du design et de l’art contemporain.

Le projet Bourse de Commerce Pinault Collection

Si on remonte quelques années en arrière, c’est à Boulogne-Billancourt, sur le site des usines Renault désaffectées (l’île Seguin) que François Pinault projette d’implanter sa collection. À l’époque déjà, il est accompagné par l’architecte japonais Tadao Ando. De trop nombreuses difficultés, la lenteur des décisions administratives et les incertitudes sur la desserte du lieu poussent Jean-Jacques Aillagon à préconiser l’abandon du projet. Il se consacre alors à l’installation de la Collection Pinault à Venise (2004), toujours avec Tadao Ando.
Un an plus tard, la première exposition s’ouvre au public, puis ils travaillent ensemble sur le projet de la Pointe de la Douane et du Pallazo Grassi.

Quand en 2016 la Ville de Paris fait part à Jean-Jacques Aillagon de son désir de faire de la Bourse de Commerce un lieu culturel, il en informe François Pinault. C’est enfin l’opportunité de mener à bien le projet d’une collection à Paris. La situation géographique de la Bourse est idéale, en plein cœur de la capitale, à deux pas des Halles.

« Quand j’ai évoqué avec François Pinault le choix de l’architecte, c’était une évidence pour lui. Tadao Ando avait travaillé sur le complexe de l’île Seguin, et le renoncement au projet l’avait naturellement aecté. J’ai proposé qu’à ce grand nom de l’architecture soit associé un jeune cabinet : nous avons choisi de travailler avec NeM, représenté par Lucie Niney et Thibault Marcia. Et puis bien entendu, Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques, dont l’expertise patrimoniale était essentielle. Ensuite, pour le design, le nom des frères Bouroullec s’est imposé naturellement, François Pinault admire leur travail et comme ils sont tous bretons, je suppose que ça a joué en leur faveur. » (sourires).

Ci-dessus, une gravure montrant la halle au grain telle qu’elle était au début du XIXe siècle. 

L’architecture,
une histoire temporelle ?

Pour Tadao Ando, « La rénovation ne consiste pas simplement à préserver l’ancien ni à l’écraser sous quelque chose de nouveau », plutôt à trouver un équilibre, à produire un dialogue entre les deux, comme « un trait d’union entre le passé, le présent et le futur ».

Pour bien comprendre sa démarche, il faut faire un retour dans le temps. L’architecture de la Bourse change à plusieurs reprises, en raison de l’évolution de ses usages. D’abord halle au grain, sa façade intérieure, confiée en 1767 à Nicolas Le Camus de Mézières – se voit couronnée en 1813 d’une coupole qui vient fermer l’édifice. Puis, la halle devient Bourse de commerce, Henri Blondel la transforme de nouveau et la complète de deux annexes symétriques le long de la rue du Louvre. Tadao Ando définit cette architecture complexe comme un ensemble « de strates historiques », comparable aux « cernes de croissances d’un bois », dont son œuvre fait désormais partie.

Rare cliché des travaux de la coupoles aux alentours de 1813.

La Bourse de Commerce dans le Paris du début du XXe siècle.

Jean-Jacques Aillagon évoque d’ailleurs une expérience temporelle pour le visiteur de la Bourse : « C’est en fait trois expériences singulières que l’on peut vivre en venant à la Bourse : une expérience patrimoniale, dans un lieu chargé d’histoire et jusque-là méconnu du public, une expérience architecturale avec la rencontre du concept de Tadao Ando (une troisième enveloppe cylindrique, en béton, qui s’inscrit dans le présent), et enfin une expérience artistique avec la rencontre d’œuvres de notre temps ».

Et le design
dans l’édifice ?

On a déjà évoqué sur le blog d’Arte Diem ce lien fusionnel entre l’architecture et le design : Jean-Jacques Aillagon souligne que l’ameublement est une question importante dans la finalisation d’un projet architectural : « Le mobilier extérieur et intérieur doit de toute évidence tenir compte du lieu, des formes et des usages. Dans le cadre de notre accord avec la Ville de Paris, les abords de la Bourse devaient être inclus dans notre étude. François Pinault avait déjà travaillé avec les Bouroullec à titre privé. Nous souhaitions quelque chose d’assez radical, de la sobriété, une certaine forme de rigueur. On voulait avant tout du caractère ».
À l’extérieur, Ronan et Erwan Bouroullec imaginent un mobilier urbain d’une grande pureté, épousant les lignes de l’édifice.
À l’intérieur, luminaires, chaises, fauteuils, bancs, rideaux , tentures murales et tapis font partie du lieu, de l’œuvre et donnent lieu à une impression de perfection dans la touche finale. Ils ont été conçu exclusivement pour la Bourse de Commerce.

Votre rapport au design ?

On l’aura compris, Jean-Jacques Aillagon attache une grande importance au design. On le perçoit également dans son intérieur : « Très tôt, j’ai commencé à acheter du design ; je pense souvent à un très grand bureau curviligne, avec des tiroirs en plastique sur le côté, un mobilier dessiné par Prouvé, auquel j’étais particulièrement attaché. Un jour, j’ai décidé de le vendre à une amie… Quand je viens chez elle, de temps en temps, je vois mon bureau Prouvé, je suis pris d’un profond regret, et curieusement, j’ai tendance à considérer que cet objet m’appartient toujours » (rires).

Faut-il le confesser ? Jean-Jacques est un client fidèle d’Arte Diem, vous l’aviez deviné !

Chez Jean-Jacques Aillagon

Le fauteuil Lounge Loop de chez Vincent Sheppard, qu’il préfère à l’intérieur et dont il souligne l’exceptionnel confort.

Les fameuses chaises Masters de chez Kartell, dessinées par Philippe Starck : chez Jean-Jacques Aillagon, elles habillent généreusement les espaces extérieurs. Il les a choisies de couleurs différentes : chaque teinte semble délimiter un espace, rouges côté rue, jaunes côté jardin.

Le fameux Componibili de chez Kartell qu’il utilise volontiers en chevet.

Le lampadaire AJ de chez Louis Poulsen, réplique d’Arne Jacobsen, accompagne le lecteur confortablement installé  dans un fauteuil.

Le lampadaire Birdie Lettura de chez Foscarini : en double, ils sont disposés de manière à créer un  effet de symétrie.

La console Grande Sœur de l’Atelier français du design, dessinée par Nicolas Gaudin. On la retrouve dans plusieurs pièces de la maison.

Dans la bibliothèque de Jean-Jacques Aillagon

Le catalogue de l’exposition Josef et Anni Albers, Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
« Remarquable exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris qui met en évidence le rôle de son épouse, Anni, dans l’évolution de son travail. Elle souligne aussi l’importance du travail artistique d’Anni Albers (tissus, tentures et tapis), et son travail de designer. »

Design au féminin chez Phaidon
« Enfin un livre qui fait le point sur la contribution des femmes à la création appliquée aux objets de la vie quotidienne sur la scène française, brillent les noms de Charlotte Perriand, Andrée Putman, Matali Crasset, Constance Guisset et de tant d’autres. »

Histoire du design de 1940 à nos jours par Raymond Guidot, 2004
« La publication n’est pas récente mais elle couvre entièrement le XXe siècle. J’ai choisi ce livre pour rendre hommage à son auteur qui fut l’un des piliers du Centre de Création industrielle au Centre Pompidou. Raymond Guidot est mort au mois d’avril de cette année. »

Histoires de photographies, collections du Musée des arts décoratifs
« On peut constater, en ce beau catalogue, à quel point toutes les expressions artistiques, les arts plastiques, le design, l’architecture mais aussi l’image fixe et animée, contribuent à définir l’esthétique d’une époque. »